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mercredi 13 mars 2024

INTERVENTION DE JEAN PAUL PELRAS


Retrouvez ci-dessous, la très bonne intervention de Jean Paul Pelras ( Journaliste/Écrivain) réalisée lors de l'AG de la CR de Lozère.


"Tout d’abord un grand merci pour votre invitation qui me touche tout particulièrement puisque cette Assemblée Générale se tient à Aumont où vivent mes cousins, où mes grands-parents reposent pour l’éternité, où, du côté de l’enfance, je passais mes vacances au Vivier puis au Pécher. Ma mère qui aurait eu 100 ans cette année étant née à Charmals, au Fau de Peyre.
Une entrée en matière géographique et sentimentale qui nous rapproche un peu du métier même si je fus surtout maraicher et arboriculteur dans les Pyrénées Orientales où nous avons, pendant des décennies, lutté contre le jeu des compétitions déloyales. Ce qui précipita mon engagement syndical et me couta, entre autres péripéties, 15 jours de prison pour m’être, à l’aune des années 90, frotté aux gardes du cardinal de service.
Il s’agissait donc de lutter contre les compétitions déloyales, tout d’abord monétaires avec la dévaluation de la peseta, puis fiscales et sociales, avec des salaires qui vont encore du simple au double selon que l’on se situe d’un côté ou de l’autre des Pyrénées et, enfin, environnementales avec des dérogations a géométrie variable concernant notamment l’usage des phytosanitaires.
Pour étayer le propos, ces quelques chiffres : voilà 30 ans dans les Pyrénées-Orientales nous produisions 260 millions de pieds de salade, nous n’en produisons plus que 30 millions aujourd’hui, 130 000 tonnes d’abricots, 13 000 aujourd’hui, 200 000 tonnes de pèche, 40 000 aujourd’hui, 2 millions et demi d’hectolitres de vin, moins de 400 000 aujourd’hui.
Je voudrais, puisque nous parlons d’importations, évoquer pour commencer les accords de libre-échange en vous livrant cette anecdote : le 21 mai 1997, Luc Guyau en tant que président du COPA Européen (mais il était également président de la FNSEA), dans un courrier adressé à Franz Fischler, membre de la Commission européenne écrit : « Suite aux actes de violence commis en France la semaine dernière contre des transports de fruits et légumes entre autres d’origine espagnole, le COPA et le COGECA ont condamné publiquement comme ils l’ont fait chaque fois que cela s’est produit l’attitude injustifiable des producteurs français. Afin d’assurer le respect des règles du marché unique, le COPA et le COGECA demandent aux instances de l’Union et aux autorités françaises de prendre toutes les mesures nécessaires notamment d’ordre public et judiciaire pour arrêter ces actes de vandalisme. Le COPA et le COGECA demandent à la Commission d’accélérer la procédure en cours à l’encontre du gouvernement français concernant les mesures prises par celui-ci pour assurer la libre circulation des marchandises »
Dans la foulée, en tant que président du Centre départemental des Jeunes Agriculteurs des P-O et membre du conseil d’administration du CNJA, je demandais la démission du patron de l’agriculture française. Requête qui, bien sûr, me valut une belle bordée de désagréments et ne fut jamais entendue. C’est à ce moment-là que la dissidence a véritablement commencé.
27 ans plus tard, en février 2024, ce sont les agriculteurs espagnols qui bloquent la frontière de l’autre côté des Pyrénées, pour protester à leur tour et à l’instar de nombreux agriculteurs européens contre les compétitions déloyales. Ils vivent avec le Maroc ce que la Maroc vivra un jour avec le Soudan et la Mauritanie et ce que nous avons vécu avec l’Espagne, mais il ne faut jamais avoir raison trop tôt. Et partout, qui flotte au-dessus des barricades champêtres, le même slogan. Celui qui dénonce les distorsions sociales et le niveau trop élevé des charges qui pèsent sur l’agriculture européenne.
Presque 3 décennies séparent ces deux dates. L’âge de raison diront les plus optimistes. Le temps de l’oraison diront ceux qui n’ont plus les moyens de rembourser leurs emprunts, d’investir ou, tout simplement, de vivre décemment d’un métier qui leur aura pris jusqu’à leur dignité. Certains, à leur corps et à leurs cœurs défendants ont dû abdiquer, poussent un transpalette sur le quai de quelques importateurs, font la circulation devant les écoles, ou, comme moi, sont devenus journalistes. Un malentendu !
27 ans perdus à écouter des discours lénifiants dans la grande farce des compromis qui ont servi à redistribuer les cartes au sein d’une Europe où l’agriculture française sera, qu’on le veuille ou non, désormais toujours trop chère.
Ce qui va arriver aux secteurs de l’élevage avec les accords de libre-échange entre l’Europe et le Mercosur (et nous venons de le voir, malgré les promesses de Macron, avec le Chili), c’est ce qui est arrivé, consécutivement au Traité de Rome ratifié en 1957, aux productions méditerranéennes françaises.
Avec, en 2012, des accords franco-marocains signés en présence de Xavier Belin également président de la FNSEA, puis en 2018 avec la bénédiction de l’interprofession. Et encore récemment, en plein milieu du Salon, Porte de Versailles où notre Ministre de l’agriculture a signé un nouvel accord de coopération avec son homologue marocain, évidemment sur le stand Marocain. Et ce, alors que les salariés sont encore payés 5 euros par jour au Sahara Occidental.
Mais, que voulez-vous, il faut fixer les populations au Maghreb et leur envoyer des céréales dans ce que l’on appelait les « eaux virtuelles de la méditerranée ». Du moins jusqu’au Printemps arabe et avant que la Russie ne vienne usurper certains marchés.
Pour les mêmes raisons et car les Allemands ont des voitures à vendre, les accords avec le Mercosur, arrangés, contingentés et plus ou moins avoués seront tôt ou tard ratifiés. Il en sera de même avec l’Ukraine pour les céréales, d’ailleurs les droits et les contingents sur les exportations de ce pays vers ceux de l’Union Européenne viennent d’être suspendus pour une année supplémentaire, car il faut soutenir ce pays financièrement. Tout comme le Pacte vert européen des écolos sera préféré aux demandes des agriculteurs français, car il faut capter leurs suffrages lors des élections. Nous en reparlerons plus loin.
Il n’y aura pas de Plan B pour cette agriculture qui a compris désormais qu’elle allait être sacrifiée, comme le furent les secteurs de la sidérurgie et du textile, sur l’autel du moins disant mondial. Et nous sommes ni plus, ni moins en train d’assister à un vaste plan social.
Bien naïfs sont, à ce titre, ceux qui comptent sur les injonctions consécutives faites par l’Etat à la grande distribution pour appliquer la préférence française ou compresser les marges. Les négociants jugulent l’inflation avec la bénédiction des gouvernements successifs. Et l’implacable Loi de l’offre et de la demande, qui se moque comme de son premier filet garni des Lois Egalim, reste la seule à dicter le tempo, là où le pouvoir d’achat demeure le grand patron du marché.
Et tant que le steack argentin, le sucre brésilien, le légume marocain et le volatile ukrainien arriveront sur nos étals à des prix défiant toute concurrence, rien et absolument rien, y compris quelques mesures tout autant ponctuelles que superficielles, ne pourra ralentir la paupérisation de l’agriculture française. Tout le reste, tant que le salarié marocain sera payé 359 € par mois, le salarié brésilien 417 € et le salarié ukrainien 375 €, n’est que littérature.
Quant au sursaut citoyen en faveur de notre agriculture, arrêtons de rêver. Une fois évacuée la séquence émotion qui rappelle quelques souvenirs passés à la ferme du pépé, le poulet qui tient à l’os ou le fruit bien sucré, c’est le contenu du portemonnaie qui dicte les répartitions. A savoir, depuis quelques années, autant pour se nourrir que pour communiquer. 45 % du budget des ménages était consacra à l’alimentation dans les années 50, 14 % aujourd’hui, autant que pour la téléphonie.
Ce matin nous ne nous pourrons pas parler de tout. Et je sais que vous êtes particulièrement inquiets sur la question des prairies sensibles. J’ai consacré ma chronique mensuelle à paraitre dans Le Point à ce sujet.
Donc, sanctions coercitives assujetties au maintien des soutiens européens obligent, pas touche au couvert végétal et à ces surfaces qui permettent de nourrir vos troupeaux et de maintenir une activité multiséculaire essentielle à l’induction économique et sociale de votre territoire rural.
Faut-il, dans ces prairies propices à l’invasion du genêt, refermer l’espace pour que le lièvre, le blaireau, le renard, le chevreuil, le milan, la pulsatille rouge, la pédiculaire chevelue, la ligulaire de Sibérie soient préservés ? Un peu, finalement, comme sur la totalité des massifs français, dans des proportions qui dépassent l’entendement, l’ours et le loup sont désormais préférés à l’agneau et au berger !
Dans la balance des négociations entre écologistes et pouvoirs publics, à l’heure ou la pilule du NODU, de la mise sous tutelle de l’OFB, de la mise en pause du plan Ecophyto et de la dérogation à maintenir 4 % de jachère suscitent bien des remous chez les environnementalistes, l’affaire des prairies sensibles ne servira-t-elle pas de monnaie d’échange ou de variable d’ajustement ?
Reste à savoir qui va finir par trancher ? Et surtout quand et comment, depuis Lutèce et Bruxelles où l’on redessine les contours et le quotidien de nos campagnes avec, de surcroit, une loi sur la restauration de la nature qui vient d’être adoptée sous l’impulsion du député écologiste Renaissance, donc Macron-compatible, Pascal Canfin ? Un texte, intégré au très contesté Pacte vert, qui exige la restauration d’un tiers des habitats terrestres (forêts, prairies, zones humides) d'ici 2030, 60% d'ici 2040 et 90% d'ici 2050... Ou comment ce qui fut acté l’autre samedi entre 2 compagnies de CRS au Salon de l’Agriculture vient d’être remis en cause à Bruxelles par ceux qui savent forcement ce qui est bien pour vous.
Oui, reste à savoir, une fois les circonvolutions médiatico-politico-champêtres évacuées Porte de Versailles, qui va remporter la partie entre ceux qui ont promis ou proposé et ceux qui, à quelques mois des élections européennes, sont déjà repartis dans les nuances de leurs ambitions ?
A ce propos, l'an prochain au Salon de l'Agriculture, les organisateurs et les syndicats devraient installer directement des permanences parlementaires et des enclos pour les ministres. Parce qu'on a quand même eu l'impression, pour cet évènement millésimé 2024, que le politicien avait piqué la vedette au paysan. Loin, bien loin finalement de ceux qui, dans nos campagnes ne sont pas en représentation, qui ne confondent pas l’être et le paraître, qui se lèvent chaque matin pour travailler, entretenir et faire prospérer un territoire qu’ils sont, à bien y regarder, les seuls à pouvoir et à savoir préserver. La différence entre le politique et l’agriculteur, vous en conviendrez, demeurant, bien évidemment, dans l’obligation de résultats.
Pour clore ce propos, non exhaustif bien entendu, je voudrais évoquer un phénomène. Celui que nous n’avons pas vu venir et qui, pire que les méventes, les intempéries et les mouvements brusques du destin réunis, pourrait précipiter la déprise du monde agricole et rural. En 2020, dans une tribune rédigée pour le Point et L’Opinion je disais « Dans 20 ans les agriculteurs français auront disparu ». J’espère avoir été suffisamment optimiste !
Ambassadeurs des légumes oubliés, du brunch champêtre, de la piste cyclable, du wokisme et du covoiturage, ils ont une conception de la campagne formatée selon leurs exigences. Avec des critères bien précis qui excluent la mouche, la cloche, la bouse, le chant des grenouilles, celui du coq et la présence du troupeau sur la petite route départementale. Déplacement traditionnel et probablement multiséculaire qui, depuis quelque temps, vaut aux paysans de faction d'être régulièrement convoqués par les archers du Roy pour entrave à la circulation.
Et pourtant, après avoir monté deux mètres de parpaings autour de leurs propriétés, installé leurs digicodes et fait pisser, en oubliant de refermer l'enclos, leurs labradors dans le champ d’à côté, ces nouveaux venus s'empressent d'adhérer aux petites associations locales pour montrer qu'ils savent s'intégrer. Ensuite, car il faut bien marquer son territoire, ils érigent les dogmes qui contestent les usages locaux. Soi-disant bardés de diplômes qui leur ont permis d'en arriver là sans que l'on sache vraiment d'où ils sont partis, ils jettent leur dévolu sur ces coins de campagne retranchés où l'autochtone demeure sympathique tant qu'il vous laisse une douzaine d'œufs et un panier de champignons sur le palier. En revanche, dès qu'il démarre le tracteur, les relations se gâtent, à cause du bruit, de la fumée, de la terre qu'il laisse sur le chemin ou du purin qui tombe de la tonne à lisier.
Les voilà donc qui préfèrent le « dialogue des civilisations » aux conversations du bistrot du coin, qui ont forcément un avis sur cette curiosité ethnologique que constitue la paysannerie française. Un peu comme si, dans nos campagnes, nous n'étions pas suffisamment qualifiés pour exprimer nos opinions. Un peu comme si nous étions condamnés à évoquer notre histoire et notre quotidien uniquement par procuration.
Voilà comment, par défaut probablement, nos campagnes ont troqué des paysans et des artisans qui savaient entretenir les ruisseaux, remonter les murettes, ouvrir les chemins contre quelques pitoyables marchands de raisonnements, qui viennent dicter leurs règles parce qu'ils payent une taxe foncière, parce qu'ils contribuent soi-disant à contenir l'exode rural, parce qu'ils ont donné trois sous pour retaper le vieux presbytère ou, tout simplement, car ils siègent désormais au conseil municipal.
Oui, nous en sommes là dans ces campagnes où les trottoirs ont été refaits, mais où il n'y a plus personne pour les emprunter car les commerces ont fermé là où l'on ne peut plus stationner sur la rue principale. Pendant ce temps, certains se demandent pourquoi les rivières débordent au bord de ces champs que le paysan a dû abandonner car plus personne ne l'écoute, car il ne parvient plus à vivre de son métier, au bord de ce cours d'eau où il ne peut même plus descendre pour retirer un embâcle à cause de la nidification des oiseaux, au bord de ce lotissement où le béton a remplacé la terre qui nourrissait les hommes et les empêchait de se noyer.
Le monde rural, tel que nous l'avons connu, avec des enfants qui couraient dans l'odeur des foins coupés, avec des paysans qui discutaient sous la lumière jaune d'une cuisine de campagne, avec des gens qui retournaient leur assiette pour manger le fromage à la fin du repas et se servaient du manche de la fourchette pour remuer le café, c'est celui où beaucoup sont venus s'installer parce qu'ils l'ont idéalisé. Sans savoir, comme l'écrivait ailleurs Rimbaud, qu'il s'agissait aussi d'une « dure réalité à étreindre ».
Et puis, comme ils ne sont pas parvenus à s'adapter, ils ont décidé qu'il fallait tout « aseptiser ». Sans savoir, car, au bout du compte, ils ne savent pas grand-chose, qu'un pays disparaît quand le coq ne peut plus chanter, quand les paysans s'en vont, quand les machines s'arrêtent, quand la terre se tait.
Mon cousin, le regretté Robert Brugès, disait, un jour qu’il rentrait au Pécher et revenait d’une kermesse à Aumont : « Tous ces gens qui sont venus pour acheter des fourches et des vieux râteaux, s’ils avaient dû s’en servir pendant toute une vie, ils n’auraient pas envie de les accrocher au mur de la salle à manger. »
Parce que c’est un peu ça le résumé des résumés. Parce que vous devez composer aujourd’hui avec ceux qui ne savent de l’outil ni l’usage, ni le prix. Et qui nous disent qui sont les Purs et les Impurs depuis leurs studios de télévision. Avec, au sommaire, un peu de permaculture, de l’écologie, de la diversification… Et, bien entendu, pas de productions conventionnelles, pas de cultures hors sol, pas de pratiques susceptibles de heurter la sensibilité du spectateur consommateur, pas d’impératifs économiques, pas de rentabilité (un gros mot), pas de compétitivité (un blasphème). Et ce, même si l’agriculture emploie un million et demi de salariés, génère 75 milliards d’euros de chiffre d’affaire. Avec des paysans qui n’ont pas forcément le temps de regarder où se trouve la lune, à quel endroit placer le bourricot, quand préparer le purin d’ortie ou cajoler le coquelicot.
Ces agriculteurs qui, pour rembourser leurs emprunts, maintenir l’emploi, honorer leurs contrats et approvisionner les marchés ont peut-être autre chose à faire que d’écouter quelques lucratives imprécations télévisées.
Car le jour où la production française sera devenue déficitaire car trop stigmatisée, le jour où nous devrons, pour nous nourrir, compter sur un mélange de tofu et de criquets importés de Thaïlande ou d’Indonésie, quand la faim tordra le ventre plus vite que les idées, ceux qui ont préféré le discours de l’artiste à celui de l’agriculteur, s’apercevront très rapidement que, pour se sustenter, il faut moins compter sur les livres et les reportages que sur le contenu des placards et des congélateurs.
Ce jour-là, à n’en point douter, le rêve reprendra sa place, quelque part loin, bien loin derrière la réalité. Dans cette étrange société qui pousse l’imposture jusqu’à usurper le savoir de nos paysans, en voulant s’approprier cette terre nourricière qu’elle va finir, à trop tirer sur la corde, par transformer en musée. "
𝐉𝐞𝐚𝐧-𝐏𝐚𝐮𝐥 𝐏𝐞𝐥𝐫𝐚𝐬

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