Pacte de consolidation : analyse de la CR mesure par mesure
Le Premier ministre Manuel Valls a annoncé, le mardi 4 octobre, des mesures pour les producteurs de céréales et les producteurs de lait et de viande bovine. Voici l’analyse qu’en fait la Coordination Rurale, mesure par mesure.
Garanties bancaires et prolongement de l’année blanche : tout le monde ne pourra pas en profiter !
Garantie de BPI France à hauteur de 50 %, pour les nouveaux prêts de 2 à 7 ans et pour l’aménagement de prêts existants. Jusqu’à 1,5 milliard d’euros de prêts contractés. Garantie SIAGI en complément.
Seuls les « agriculteurs pour lesquels un soutien bancaire s’avère pertinent » bénéficieront de cette garantie. Très nombreux seront les exclus !
La durée des prêts concernés est un peu courte. Une durée de 5 à 8 ans convient mieux à la consolidation d’une exploitation qu’une durée de 2 à 7 ans.
Il est difficile de croire que le dispositif de garantie bancaire va permettre à tous les agriculteurs de bénéficier d’un traitement équitable par les réseaux bancaires et de taux plus bas. Pour l’année blanche, financée à 1/3 par l’État, 1/3 par les agriculteurs et 1/3 par les banques, ces dernières n’ont pas complètement joué le jeu. Pourquoi tiendraient-elles parole aujourd’hui ?
Dans le cadre du FAC, l’État les remboursera aux agriculteurs dont la perte d’EBE en 2016 par rapport à la moyenne olympique des 5 dernières années est supérieure à 20 %.
Selon BPI France, le coût de la garantie est de 0,70% du capital emprunté. Pour la baisse d’EBE de 20%, tout dépend du moment de la clôture de l’exercice comptable. Pour un exercice clôturé entre janvier et juin 2016, c’est-à-dire avant la récolte, l’EBE sera peu impacté et l’agriculteur ne se fera alors pas remboursé sa garantie par l’État.
Ne pas oublier que le capital de BPI France est détenu principalement par la Caisse des dépôts et consignations et l’État. On peut donc concevoir le remboursement de la garantie comme un retour à l’envoyeur.
Prolongement de l’année blanche du 31/10 au 31/12/2016, en 3 tiers (État via le FAC / banque / agriculteur)
Pourquoi limiter la reconduction de l’année blanche à seulement 2 mois ?
Mais on peut aussi considérer l’année blanche comme un fusil à un coup : une fois les reports effectués, il n’y a plus rien à faire et dans ce cas, un prolongement ne sert pas à grand chose.
Trésorerie à court terme : des mesures très insuffisantes !
Passage de la moyenne triennale au n-1 pour les cotisations MSA. Option ouverte en 2017, sur la base des revenus 2016, aux exploitants présentant un revenu inférieur à 4 248 € en 2015 et en 2016. Option ouverte aux jeunes et nouveaux installés présentant un revenu inférieur à 4 248 € en 2016
Cette mesure n’est pas nouvelle et fait partie du minimum que l’on pouvait attendre.
La CR demande une mesure beaucoup plus vigoureuse : le zéro MSA en 2017 !
Dégrèvement TFNB : extension des taux de pertes arrêtés pour les terres arables, aux prairies permanentes
La CR voulait une utilisation beaucoup plus importante du levier fiscal, avec la fixation de taux de perte entraînant un dégrèvement maximal de 100 % dans les zones touchées par les intempéries.
La systématisation de remises gracieuses de TFNB dans les zones non touchées par les inondations, et partout pour d’autres impôts, était également attendue.
TVA : possibilité jusqu’au 15/12/2016 d’opter pour le régime réel mensuel ou trimestriel afin de bénéficier d’un remboursement accéléré de TVA
Cette mesure n’est pas nouvelle et fait partie du minimum que l’on pouvait attendre. Mais attention, en cas de crise, les agriculteurs effectuent moins d’achats et ils doivent alors plus de TVA à l’État que celui-ci ne doit leur en rembourser. De plus, la mensualisation de la TVA coûte à l’agriculteur (honoraires de comptable).
ATR de 90 % des aides attendues (DPB, PV, PJ, ABA, ABL et ICHN) versée à partir du 16/10/2016 pour les demandes effectuées avant le 20/09/2016
La CR espérait plutôt un paiement en plein des aides PAC définitives.
Mesures destinées aux éleveurs : aucune solution susceptible d’enrayer l’état de crise chronique !
Supplément de 100 € / t de lait aux 140 € de Bruxelles, pour les 5 premiers % de réduction de production laitière
Le gouvernement cherche à amplifier une mesure de réduction de la production décidée au niveau européen. Pour l’instant, le prix du lait ne remonte pas et s’il finit par remonter, cela se fera dans des proportions totalement insuffisantes pour sortir les éleveurs de leurs difficultés financières.
Soutien à trésorerie pour les éleveurs enregistrant une baisse de 20 % de leur EBE par rapport à la moyenne olympique des 5 dernières années, si baisse ou stabilité de leur production sur 2016, ou autonomie fourragère, ou moins de 30 UGB.
Aucune précision n’est donnée sur cette aide à la trésorerie. En quoi consiste-t-elle ? Celui dont l’EBE n’a pas baissé de 20 % a également besoin de trésorerie et ne pourra pas en avoir. Actuellement, tout le monde manque de trésorerie.
Stockage et aide alimentaire pour la viande bovine
Quelles seront les modalités de mise en œuvre ? Quel impact peut-on en attendre sur les prix de la viande ? On dégage le marché à court terme mais les cours risquent de rester bas après le déstockage. Mieux vaudrait mettre la priorité sur le dégagement à l’export, avec des restitutions aux exportations.
Un plan spécifique à la filière viande est nécessaire, au niveau européen.
Assurance crédit export court terme pour la viande et le vif, dès le 15/11/2016, vers le Liban, l’Égypte et l’Algérie
Cette aide peut éventuellement aider à dégager du volume sur l’export mais cela ne sera sans doute pas suffisant et certainement pas efficace sur le court terme. Nous restons tributaires de notre compétitivité.
7 millions d’€ pour la promotion de la viande
La promotion est une bonne chose mais les 7 millions d’euros auraient peut-être plus utilement servi à aider le dégagement à l’export de 30 000 à 40 000 bêtes vifs ou maigres. Par la promotion, parviendrons-nous à exporter des volumes similaires ?
Il y aussi le risque que ce budget promotion profite davantage aux intermédiaires qu’aux éleveurs.
Globalement, les éleveurs de bovin viande sont totalement oubliés dans ce plan. Le gouvernement évoque la contractualisation, mais n’apporte aucune précision : probablement un nouvel effet d’annonce sans issue pour les éleveurs.
Mesures sociales : entre indigence et défaitisme !
Rendez-vous prestations MSA systématiquement proposé par les MSA
Cette mesure est nécessaire mais très modeste et il faut avoir à l’esprit que dans certains cas, c’est la MSA qui est le problème, avec ses retards de traitement administratif et ses lettres recommandées de mise en demeure.
Il est en outre regrettable que l’aide à la reconversion professionnelle soit citée en premier dans la liste des dispositifs.
Assouplissement des conditions d’accès à la prime d’activité et au RSA
De plus en plus d’agriculteurs demandent à bénéficier du RSA, mais cette mesure est un signe de défaite. Cela revient à accepter une pauvreté de plus en plus importante au sein de la profession.
De plus, on se demande comment il est possible de transmettre des chiffres d’affaires sur 3 mois alors que les comptabilités des exploitants sont annuelles.
4 millions d’€ délégués à la CCMSA pour remplacement des agriculteurs en situation d’épuisement professionnel
Cette somme bénéficiera aux services de remplacement. Cependant, aujourd’hui, peu d’agriculteurs font appel aux services de remplacement et les plus en difficulté (burn-out) sont encore moins susceptibles de le faire.
Afin de suivre une formation professionnelle rémunérée : 3100 € d’aide au départ et 1500 € d’aide au déménagement + 2500 € accordés par Vivea
Même constat que pour le RSA : il s’agit d’une posture défaitiste. C’est la première fois qu’un plan d’urgence envisage que certains quittent la profession.
Certaines chambres d’agriculture ont obtenu des subventions pour financer des audits, ceux-ci permettant de trier les producteurs : ceux dits « d’avenir » qui peuvent continuer et les plus fragiles qui doivent arrêter (les producteurs du « passé »). Il est regrettable que ce travail indigne de sélection revienne à la profession elle-même.
Par ailleurs, si l’on compare avec le plan d’urgence mobilisé pour Alstom (1,5 millions d’euros par salarié, pour qu’il garde son emploi et ne déménage pas), l’aide accordée aux agriculteurs est ridicule !
Pour pouvoir bénéficier de fonds Vivea, il faut être à jour de ses cotisations MSA, ce qui n’est pas forcément le cas des agriculteurs les plus en difficulté, de ceux qui mettent fin à leur activité. De plus, il n’est en principe pas possible de cumuler des aides à la réinsertion professionnelle et des aides Vivea.
Assurance récolte : l’arbre qui cache la forêt !
L’État garantira le taux de subvention de 65 % de la prime, quel que soit le nombre de demandes (correctif apporté du fait de l’enveloppe fermée)
C’est la moindre des choses, si l’État espère susciter l’intérêt des agriculteurs pour un produit d’assurance si peu attractif. (Voir le dossier consacré à ce sujet dans le magazine 100 % agriculteurs). Actuellement, le taux réel de subvention pratiqué est plutôt proche de 40 %, au lieu des 65 % promis !
Réflexion à venir sur les difficultés liées à la franchise
Le système de franchise imposé par le dispositif est très restrictif puisqu’il fonctionne par unité de culture (et non par parcelle) et qu’il est au seuil très élevé de 30 %.
Voir cet article : Pourquoi les agriculteurs ont-ils fui l’assurance récolte ?
Mais d’autres facteurs détournent les agriculteurs de l’assurance récolte :
– exclusions de garantie trop nombreuses (maladies et ravageurs, même consécutifs à l’aléa climatique, zones habituellement inondables) ;
– hausse de la prime après survenance d’un sinistre ;
– résiliations « forcées » à l’initiative de l’assureur ;
– modalités d’expertise désavantageuses (estimation avant ou après récolte) ;
– calcul erroné des indemnités…
La CR s’oppose à ce que ces assurances deviennent obligatoires dans le cadre de la prochaine PAC 2020-2015. Mieux vaut traiter la mal à la racine et ce mal s’appelle la dérégulation. Pour garantir les agriculteurs contre les risques de toute nature, rien ne vaudra jamais une politique agricole basée sur des prix rémunérateurs, l’agriculteur dégageant un revenu suffisant pour acquérir des moyens de prévention ou constituer lui-même son épargne de précaution, mobilisable les années de vaches maigres.
Conclusion : ce « pacte » aide surtout des organismes, pas les agriculteurs
La seule véritable aide directe à l’agriculteur est en réalité l’aide au départ et au déménagement ! Ce « pacte » ne constitue donc qu’un grand enfumage.
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